Comment rendre efficace le contrôle de l’inventaire physique ? par Sylvain MALARTRE

Guide de survie pour jeunes auditeurs

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Sylvain MALARTRE
Sylvain MALARTRE

C’est fait ! Le planning est tombé et toi, jeune auditeur, a été choisi pour participer à l’inventaire de fin d’année ! Au-delà de la fierté (toute relative) de cet honneur, ne  considère pas ce travail uniquement comme un bizutage professionnel obligatoire. Ce guide va te permettre de trouver ce travail utile, amusant et d’impressionner ton N+1 en lui remontant des informations utiles et pertinentes pour l’audit annuel. C’est bon pour ton avancement donc lis l’article attentivement (sinon tu peux aussi ne regarder que les images).

Les tests pendant l’inventaire englobent évidemment les tests de comptage mais pas seulement. Nous allons te détailler tous ces tests par risques répartis en trois thématiques.

1. Risques liés à la prise d’inventaire

Les risques liés à la prise d’inventaire ne présentent à priori pas de difficultés majeures. Il faut, simplement, savoir quoi compter, comment le compter et où le compter. La réponse à ces trois interrogations aura fait l’objet au préalable d’instructions d’audit claires (sinon c’est le moment de te plaindre de ton N+1 à ton N+2)

Attention tout de même car le seul vrai danger de la prise d’inventaire est de récolter des comptages non exploitables à l’issue de l’inventaire. C’est pourquoi, avant de sélectionner les articles à inventorier il est préférable d’insister sur le comment.

Pour valider le « comment compter », le choix est imposé par les contraintes propres du dossier ou du mandat mais la méthode la plus simple et la plus sécurisante est de s’appuyer sur les travaux de l’année précédente. Cela sous-entend que le mandat du CAC a déjà débuté et que le cabinet a  déjà assisté à l’inventaire lors d’un précédent exercice. A partir du fichier de synthèse des stocks, il faut s’assurer que le passage depuis le comptage jusqu’à la synthèse est identifié et qu’un chemin d’audit permet de faire remonter les tests sur les quantités jusqu’à la synthèse des stocks comptabilisés dans les comptes à auditer. Dans les dossiers de commissariat aux comptes les mieux formalisés, cette documentation des travaux se matérialise par le cross référencement des feuilles de travail.

Le cas échéant, il ne faut pas hésiter à perdre du temps au début de l’inventaire pour valider les futurs états de restitution. Pour cela, il faut évidemment discuter avec le responsable de l’inventaire mais aussi et sans aucune hésitation avec le responsable comptable. Ce dernier connaît tes besoins en termes de documentation de travaux, il connaît aussi très bien son entreprise et sera un appui indéniable pour favoriser la discussion avec les responsables opérationnels dont le principal souci le jour de l’inventaire est souvent de le terminer au plus vite.

La prise d’inventaire se résume ensuite en un travail de rigueur et de curiosité afin de rendre intéressant, efficace et probant le comptage des stocks.

Les points de vigilance sont :


Les perspectives de vue

Il faut faire attention aux quantités et notamment aux perspectives de vue. Il est légitime de demander de descendre une palette pour la mettre à une hauteur de vue convenable pour compter, pour s’assurer qu’elle est complète et sans vide au milieu ou encore changer de point de vue pour avoir une vision complète et exhaustive de la situation.


Les quantités pré-imprimés

Dans la même famille de pièges à éviter, les quantités indiquées clairement sur l’emballage extérieur ne préjugent pas forcément de ce qui se trouve à l’intérieur. Il faut être attentif au conditionnement par lot. Par sondage, tu dois ouvrir des cartons et vérifier le conditionnement notamment sur les zones de « picking » des entrepôts et sur les cartons ou palettes a priori entamés


Le calcul arithmétique

L’autre risque classique consiste à l’erreur arithmétique lors du relevé. Bien que tu sois issu d’un cursus comptable, la manipulation durant toute une journée d’opérations arithmétiques peut conduire à des erreurs. Le vrai conseil est de noter dans tes comptages le conditionnement. En notant 12 X 8 comme dans le schéma ci-dessous, on comprendra lors de l’exploitation finale de l’inventaire que 86 est une erreur matérielle et que le stock inventorié était sans aucun doute  96.


La qualité du produit

Enfin, un cas heureusement moins fréquent mais pouvant être problématique est celui de la qualité des produits. Si, à priori, rien ne nous pousse à penser que le stock compté est obsolète, abimé quand nous le voyions, des tests aléatoires doivent être effectués afin de s’assurer que les produits sont sains, sont en état conforme pour la vente, sont bien ceux correspondant à leur identification (ex des conserves de légumes sont des produits finis alors que des conserves vides seront des emballages). Bref, qu’aucun indice visible ne laisse à penser que le stock compté peut être sujet à une discussion sur sa valeur.

Pour illustrer ce point, mon (petit) moment de gloire. Un  client, via son directeur financier, nous annonce fièrement, lors de la réunion préparatoire à l’inventaire, une année positive avec un stock certes un peu élevé mais s’expliquant par un nouveau produit spécifique au marché nord-américain allant engendrer des ventes à foison dès les premiers jours du nouvel exercice comptable. Cet équipement de loisir est valorisé entre 3 et 4 k€ en prix de revient. Malheureusement pour moi, je dois compter ce produit à la clôture et il y en avait 259 exactement (l’anecdote m’a marqué !). Ma surprise a été importante pendant l’inventaire de constater ce matériel stocké sans protection, sans emballage et à l’extérieur. Très professionnel, je demande au magasinier pourquoi ce stockage peu délicat et ce dernier m’explique que ces produits l’embarrassent, qu’il ne trouve pas de place ailleurs ni personne pour les débarrasser. En creusant le point, un défaut de marquage obligatoire a été omis à la conception rendant ce produit invendable. A l’issue de l’audit, c’était toujours le plus gros ajustement du dossier et ma petite fierté personnelle.


Sois toi aussi attentif et tu auras sans doute ton moment de gloire.

2. Risques liés au contrôle

Les risques liés aux contrôles sont plutôt d’ordre méthodologique. Dans ce but, des questionnaires et programmes de travail existent que ce soit dans ton cabinet ou dans les outils de ton logiciel d’audit.

Lors d’un inventaire, il faut s’assurer que l’ensemble des stocks est inventorié. Tu dois t’assurer que la procédure d’inventaire a prévu de tout recenser : l’ensemble des zones de comptages appartenant à l’entreprise et aussi l’ensemble des biens possédés par l’entreprise pouvant être stockés chez des tiers (clients, fournisseurs, sous-traitants etc…)

En fonction de l’importance du stock détenu par des tiers, tu peux (dois) participer à l’inventaire chez ces tiers ou procéder à des demandes de confirmation en bonne et due forme.

Pour s’assurer que l’ensemble du stock est inventorié, il faut prévoir de visiter les lieux. Une visite en début de comptage permet de prendre connaissance de l’étendue des comptages possibles. Une visite à la fin de l’inventaire permet de s’assurer que l’ensemble des éléments a été inventorié. En effet, une bonne pratique à recommander si elle n’est pas appliquée est de matérialiser les comptages effectués au moyen d’une identification claire et visuelle (ok sur la palette, autocollant de couleur etc.) Cela permettra de savoir ce qui a été compté et évitera les doubles comptages.

Pour tester l’exhaustivité des comptages, tu disposes de deux approches :

1/ Sélectionner physiquement une référence et la noter sur ton relevé « floor to listing ». Tu vérifies, dans un second temps, son existence dans le listing d’inventaire.

2/ Sélectionner une référence sur l’inventaire papier et vérifier son existence dans le stock physique, « listing to floor ».

Une combinaison de ces deux techniques de sélection est assurément l’approche à retenir pour obtenir une assurance satisfaisante sur l’exhaustivité d’un inventaire.

Par ailleurs, ta présence pendant l’inventaire est l’occasion de vérifier le respect et l’application de la procédure d’inventaire. Cette dernière est souvent écrite et communiquée au CAC. Le CAC s’appuie sur cette procédure pour définir son intervention, ses risques etc. Encore faut-il que ce soit la procédure appliquée. Tu dois donc en assistant à l’inventaire, noter le déroulement de ce dernier et valider l’adéquation entre le déroulement opérationnel de l’inventaire et la procédure théorique par l’entreprise.

Son non-respect permettra de mettre en avant principalement deux points intéressants :

1/ L’inadéquation de la procédure par rapport aux capacités sur le terrain (ex un double comptage par un second binôme est prévu et pour effectuer l’inventaire il n’y a pas suffisamment d’effectif). Tu  en tireras les conséquences sur ces travaux et le synthétiseras tes observations dans ton compte rendu.

2/ L’amélioration d’une lacune de la procédure par les équipes opérationnelles. Dans la plupart des cas, les équipes opérationnelles sont consciencieuses et grâce à leurs expériences et connaissances de l’entité, elles sont une force de proposition pour améliorer la procédure. Tu pourras relater ses points dans ton compte rendu en n’omettant pas de citer la source de l’amélioration.

Enfin, un dernier aspect primordial pour contrôler un inventaire est la gestion des mouvements pendant l’inventaire. Il paraît évidemment plus confortable que l’entreprise soit fermée c’est à dire qu’aucune réception (entrées en stocks) et aucune livraison (sorties de stocks) ne soient prévues pendant le temps de comptage. Mais les contraintes de la production ou la volonté de la direction peuvent conduire à ne pas fermer l’entreprise pendant l’inventaire. Tu dois d’adapter aux contextes réels et gérer les mouvements d’inventaire dans nos travaux.

En cas de mouvements pendant l’inventaire, tu dois porter une vigilance particulière à leur identification (ex, isoler ces flux dans une partie de l’entrepôt dédié) afin de pouvoir plus facilement les ajouter ou les déduire à l’inventaire. Un lien entre ces mouvements et les documents comptables sera forcément nécessaire. Sans doute que récupérer les éléments relatifs à ces mouvements dès l’inventaire (prise de copie des bons de livraisons, bons de réception ou autres selon les procédures de l’entité) est la bonne pratique à adopter. Et ensuite, sans perdre de temps et sans attendre le contrôle final des comptes, il faut raccrocher ces éléments avec les éléments comptables et les intégrer dans les schémas de comptabilisation de l’entité (date de prise en compte de l’achat ou de la vente, date de mouvements dans les stocks, rattachement du produit ou de la charge au bon exercice). Ces flux peuvent compliquer considérablement l’inventaire mais ce sont les aléas de l’entreprise grâce auxquels tu vas pouvoir montrer ta compétence.

Pour finir sur les problématiques liées aux mouvements de stocks, l’inventaire physique peut se dérouler à une date différente de celle de clôture (contrainte physique, organisation interne, planning du CAC aussi parfois !). Lorsque la date d’inventaire ne coïncide pas avec la date de clôture, il t’appartient de prévoir le recensement des opérations à venir entre la prise d’inventaire et la date de clôture des comptes. 

3. Autres aspects

Pour élargir un peu le débat, l’inventaire reste un moment privilégié dans la mission car nous sortons enfin du bureau de la comptabilité pour rencontrer des opérationnels.

Ces rencontres avec les opérationnels et sur le terrain sont des instants conviviaux tout en étant utiles à notre mission de certification des comptes (au-delà de la tâche de recensement des stocks). Cela permet de voir ce qui se passe derrière les chiffres et de voir comment est organisée l’entreprise. Bref, quand on revient voir le service comptable on connaît mieux le sujet dont on parle. C’est aussi une occasion unique d’appréhender le climat social de l’entreprise, le ressenti des opérationnels sur leur direction et l’évolution de leur société (croissance, concurrence) Attention, toutefois à ne pas prendre pour « argent comptant » tous les commentaires car le jeu de désinformation peut être volontaire si par exemple nous participons à l’inventaire avec une personne aigrie par sa situation personnelle au sein de l’entreprise. Il faut également faire attention à ne pas devenir dispensaire d’information, les opérationnels peuvent être très intéressés par des informations que nous détenons (estimation de CA, de résultat, participations aux résultats etc.) Bref, comme toujours durant notre mission, nous devons faire preuve de perspicacité et de professionnalisme et de retenue lors de ces échanges.

En conclusion, conduire un inventaire est un travail intéressant avec pleins de facettes et une grosse force probante pour les contrôles du CAC.

Une seule chose est obligatoire à l’issue de l’inventaire : partir en étant d’accord sur les quantités inventoriées avec le responsable inventaire. Le cas échéant, l’exploitation de ces comptages n’aura aucune valeur probante puisque le responsable nous dira que nous nous sommes simplement trompés dans le comptage, mais que le sien est juste, et donc les stocks de l’entreprise sont correctement inventoriés.


Sylvain MALARTRE
Expert-Comptable Viseeon


Autre article disponible de Sylvain MALARTRE :
https://www.comptaworld.com/2020/12/16/linventaire-de-fin-dannee-pourquoi-le-faire-par-sylvain-malartre/

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