L’abus de majorité, par Julia PALII

Com., 15 janvier 2020, n° 18-11.580

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Abus de majorité
Julia PALLI

Dans les faits, une SARL a trois associés, 1/3 des parts sociales appartient à chaque associé sachant qu’ils sont tous cogérants. 

À la suite du décès de l’un des trois, les héritiers accusent les deux cogérants survivants d’avoir augmenté leur rémunération sur le fondement d’un abus de majorité

Bien que les juges du fond aient rejeté la demande, la chambre commerciale de la Cour de cassation a ensuite décidé que le raisonnement de juges du fond ne prouve pas que la décision des associés n’a pas été contraire à l’intérêt social. Ainsi, dans le cas présent, il faut réunir les deux conditions : la contrariété de la décision avec l’intérêt social (I) et la rupture intentionnelle d’égalité entre associés (II) pour que l’abus de majorité soit caractérisé.

I/ Abus de majorité et contrariété avec l’intérêt social

L’abus de majorité sera constitué dès lors que la décision prise est contraire à l’intérêt social, c’est-à-dire à l’intérêt de la société elle-même, sans considération de l’intérêt individuel de ses membres, les associés. 

Au cours d’un précédent jugement, la Cour de cassation a déjà abordé le sujet du droit de prendre part au vote sur la détermination d’une rémunération du gérant de SARL. Nous en retrouvons les conséquences ci-dessus. En effet, la décision de la Cour permet librement au gérant majoritaire de déterminer le montant de sa rémunération. Dans notre cas, les associés minoritaires contestaient la décision sur le fondement de l’abus de majorité. Mais, il est nécessaire de présenter la preuve d’une atteinte à l’intérêt social. 

Les juges du fond, pour rejeter la demande fondée sur l’abus de la majorité, avaient estimé que la situation de l’entreprise n’a pas été mise en péril par la décision sur la rémunération des deux gérants de la SARL. 

Cependant, la Cour de cassation a constaté une augmentation significative de la rémunération des cogérants – de 28.000 € à près de 105.000 €– alors que le résultat net comptable a chuté. Les associés, en prenant une telle décision sur l’augmentation de leur rémunération, avaient donc agi contre l’intérêt de la société dirigée et la première condition d’un abus de majorité était remplie.

II/ Abus de majorité et rupture intentionnelle d’égalité entre associés

 Pour pouvoir utiliser l’abus de majorité comme fondement, il faut aussi réunir la deuxième condition : la rupture intentionnelle d’égalité entre associés. 

Dans les faits, les demandeurs faisaient valoir l’absence de « politique habituelle de distribution d’importants dividendes qui s’élevaient à près de 165.000 pour l’exercice précédent ».

En réponse, la Cour de Cassation met en lumière l’absence de distribution de dividendes tandis que la rémunération des dirigeants augmentait. Les dirigeants avaient donc mis fin à une politique habituelle de distribution généreuse de dividendes (à destination des associés) et augmenté la rémunération (à destination des dirigeants).

Ainsi, la deuxième condition était remplie. Étant donné que les deux conditions sont réunies, il convient alors de sanctionner. Il pourra être demandé la nullité de la décision collective en raison de l’abus affectant la régularité de la délibération de l’assemblée. Le cas échéant, l’action sera dirigée contre la société dans un délai de trois ans à compter de la décision (l’article L. 235-9 du Code de Commerce). Une fois la décision annulée rétroactivement, il conviendra alors pour les associés de voter à nouveau la résolution d’origine en respectant cette fois l’intérêt de la société et des associés minoritaires. Dans le cas d’espèce, les héritiers ont choisi d’agir en nullité de la décision collective litigieuse. 

Par ailleurs, les associés minoritaires auraient pu également engager la responsabilité extracontractuelle des associés majoritaires afin d’obtenir des dommages-intérêts. Le cas échéant, l’action serait dirigée à l’encontre d’un ou des associés majoritaires dans un délai de cinq ans. 

Dans le cas présent, les demandeurs ont préféré obtenir uniquement la nullité de la décision pour abus de majorité.


Julia PALII
Juriste Viseeon siège

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