Un tiers peut-il contester des clauses statutaires limitant les pouvoirs des dirigeants ? par Julia PALII

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Le sujet de la contestation des clauses statutaires limitant les pouvoirs des dirigeants par un tiers est peu traité en doctrine alors qu’il est actuel et complexe.

Mais, au regard de l’objectif de protection des tiers, en cas de manquement des dirigeants, ces clauses ne peuvent être opposées par la société aux tiers conformément aux dispositions du Code de commerce et du Code civil.

L’ordonnance n° 2016-131 donne un fondement textuel à l’opposabilité des clauses limitatives des pouvoirs des dirigeants. De plus, son champ a été récemment généralisé par la Cour de cassation.

Pour rappel, lorsque la société est une personne morale, elle est distincte de la personnalité de ses associés. La loi exige que le dirigeant agisse dans l’intérêt de la société avec le pouvoir qui lui a été attribué. Mais des clauses statutaires peuvent limiter les pouvoirs du dirigeant. Par exemple, les statuts peuvent prévoir des clauses selon lesquelles le dirigeant peut agir sur un contrat dépassant une certaine somme, ou portant sur un objet particulier. Dans ce contexte, il nous reste à poser la question de l’opposabilité par un tiers à de telles limitations. Pour répondre à cette question il faut premièrement qu’une telle clause soit opposable par un tiers (I) et si c’est le cas, il faut deuxièmement que le tiers dispose du droit à critiquer le dépassement de pouvoir par le dirigeant du société (II).


I/ Les clauses opposables par un tiers

En principe, les statuts sont opposables par des tiers. Tout d’abord, il faut distinguer le pouvoir des dirigeants d’ordre interne et le pouvoir des dirigeants d’ordre externe.

Dans le premier cas, les dirigeants assurent la gestion de la société, animent la vie sociale, et ils participent à la stratégie de l’entreprise. Dans le deuxième cas, ils représentent la société vis-à-vis des tiers. Donc, ils sont responsables pour les actes commis au nom de la société et en théorie les clauses limitant le pouvoir du dirigeant sont opposables. Mais en réalité, les clauses qui limitent le pouvoir interne du dirigeant sont inopposables (A) tandis que les clauses limitatives du pouvoir de représenter la société est opposable (B).

 

A- Les clauses limitatives de pouvoir internes du dirigeant

En principe, les tiers ne peuvent pas invoquer les clauses statutaires de la société en contestant le pouvoir du dirigeant dans l’ordre interne (par exemple, le fait de contester l’invocation des organes sociaux). En outre, si nous regardons les clauses statutaires qui organisent la prorogation de la société, nous comprendrons que ces clauses sont subordonnées à l’ordre interne et donc qu’elles ne sont pas opposables par les tiers. Ainsi, la Cour de cassation avait déjà précisé que la « clause statutaire organisant les modalités de prorogation de la société ne peut être invoquée par les tiers. » La Cour considère que les tiers n’ont pas le droit d’intervenir dans la vie interne de la société.

B- Les clauses limitatives de pouvoir de représenter

Les clauses limitantes du pouvoir du dirigeant d’agir au nom de la société dans l’ordre externe peuvent être opposables par les tiers (par exemple, le fait de représenter la société devant la Cour). Selon ce principe les tiers peuvent les opposer à la société pour justifier le défaut du pouvoir d’un dirigeant de représenter la société devant la justice. La Cour de cassation déclare « inopposable aux tiers les dispositions des statuts limitants des pouvoirs du président du conseil d’administration d’une société anonyme n’interdit pas aux tiers de s’en prévaloir pour justifier du défaut de pouvoir de ce président à figurer au procès comme représentant de la société. » 

Cependant, le dépassement des pouvoirs du dirigeant n’affecte pas nécessairement la validité de l’acte. Il faut savoir donc, le domaine des actes contestables. 

 

II/ Les actes contestables

Selon la doctrine et la jurisprudence « si un tiers peut se prévaloir du contrat en tant que situation de fait c’est à la condition que celle-ci soit de nature à fonder l’application d’une règle juridique lui conférant le droit qu’il invoque. » Si nous parlons de la responsabilité du dirigeant, il faut analyser le fondement juridique sur lequel les tiers peuvent critiquer un acte pris en dépassement de pouvoir. 

Étant donné que le droit positif n’offre pas le droit aux tiers de contester le contrat conclu par le dirigeant en dépassement d’une clause statutaire limitative de pouvoirs (A), la jurisprudence reconnait la possibilité de contester un acte unilatéral par les tiers (B). 


A- L’impossibilité de critiquer la validité des contrats

Actuellement, la jurisprudence n’est pas très claire sur la question de la contestation de la validité d’un contrat conclu par un dirigeant en violation d’une clause statutaire limitative d’un pouvoir. 

L’article 1156, alinéa 2 touche légèrement ce sujet en précisant qu’un tiers contractant peut invoquer la nullité de l’acte pris en dépassement de pouvoir. Il est intéressant de vérifier d’abord, si l’article 1153 et les suivants du Code civil sont applicables.

Les articles 1153 et suivants ont tendance à s’appliquer s’il n’y a pas de dispositions contraires à la représentation sociale. En outre, l’article 1105, alinéa 3 ne s’applique qu’en matière de contrats, les règles générales s’appliquent sous les conditions des règles spécifiques pour chaque type de contrats. Cependant, l’existence d’une règle spéciale ne suffit pas pour laisser de côté le droit commun. De toute façon, le droit commun s’applique dans le silence du droit spécial. Il faut préciser que le droit commun ne donne pas une réponse exhaustive au sujet de la représentation social.

En principe « Lorsqu’il ignorait que l’acte était accompli par un représentant sans pouvoir ou au-delà de ses pouvoirs, le tiers contractant peut en invoquer la nullité » 

 En revanche, nous ne pouvons pas nous baser sur le même raisonnement s’il s’agit d’un acte unilatéral. 


B- La possibilité de contester l’acte unilatérale

Il existe trois actes unilatéraux que peuvent contester les tiers sur le fondement du dépassement de pouvoir du dirigeant. Ce sont les actes suivants : le licenciement, l’action en justice et le congé. 

L’acte unilatéral ne dispose pas de la théorie générale qu’ont les contrats. Néanmoins, l’ordonnance du 10 février 2016 décrit ces actes. L’article 11000-1 du Code civil précise que l’acte unilatéral est une manifestation de volonté solitaire destinée à créer des effets du droit. La doctrine définit les actes unilatéraux comme les actes conclus par une ou plusieurs personnes ayant un même intérêt en vue de produire un effet en droit. La question soulevée est de savoir s’il existe une disposition en droit commun qui permet au sujet passif d’un acte unilatéral conclu en dépassement de pouvoirs d’en demander en justice la sanction. Il est évidant que l’article 1156 alinéa 2 du Code civil constitue un fondement général sur la sanction des actes unilatéraux pris en dépassement des pouvoirs.

« Protéger le destinataire de l’acte unilatéral, apparaît, sans nul doute, comme l’une des finalités du contrôles de l’acte unilatéral réalisé par le juge judiciaire. » Parallèlement, l’article 1100-1 du Code civil élève les actes unilatéraux au même régime que les contrats. Tel acte est efficace si le dirigeant (dont le représentant légal) est doté d’un pouvoir. 

Enfin, la jurisprudence accepte le fait que les tiers puissent contester l’acte unilatéral conclu par le représentant de la société en dépassant son pouvoir indiqué dans les clauses statutaires. Vu cela, la théorie générale est applicable en confrontant les articles 1153 et suivants du Code civil, issus de l’ordonnance du 10 février 2016. En ce sens les tiers peuvent contester les actes unilatéraux s’ils sont destinataires. Mais, l’organe habilité à déterminer le consentement de la société peut approuver les actes prise en dépassement de pouvoirs. Ainsi, l’intérêt des tiers est protégé de la même façon que ceux de la société et des associés.


Julia PALII
Juriste Viseeon Siège

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